Bonjour, pouvez-vous vous présenter ? Quelles sont vos missions au château d'Amboise ?
Tourangeau d’origine, né face à la cathédrale, j’ai quitté un temps la Touraine pour suivre des études d’histoire, puis de communication. J’ai débuté ma carrière dans l’Est de la France dans le secteur du tourisme. Mais l’attachement pour le Val de Loire était trop fort.
Son fleuve majestueux, bien sûr, mais surtout son patrimoine qui est le vrai trésor de la région. Le rapport à ces témoins de l’histoire humaine nous place dans une échelle de temps long, qui tranche avec l’immédiateté dictée par les médias et par les échanges électroniques d’aujourd’hui. Le temps de la réflexion et de la création sont pourtant des valeurs qui méritent d’être cultivées.
Ce patrimoine est également l'illustration parfaite du génie de l’homme, de ce qu'il peut faire de mieux.
La fascination pour les audaces architecturales et l’émotion que procurent les fantaisies décoratives donnent immédiatement l’envie de préserver et de valoriser ces joyaux. C’est ce qui m’a naturellement conduit à rejoindre Amboise en 2002, sous la direction de Jean-Louis Sureau, mon prédécesseur.
Quelle est la spécificité d'Amboise ? Pourquoi est-il unique ?
D’abord, sa silhouette. Ses deux grosses tours ont l’air de deux donjons flanquant les remparts. L’une d’elles domine le fleuve et fait de cette illustre demeure un véritable château de la Loire.
C’est un lieu ouvert aux influences extérieures. Sa qualité de château royal a conduit les rois de France à enrichir l’iconographie et les éléments de décor d’influences diverses, que ce soit dans l’architecture ou même dans le mobilier.
C’est également un lieu qui a été meurtri. J’aime les sites qui ont vécu. À chaque phase de construction ou de déconstruction s’attache un événement particulier ou un style donné. En fin de compte, c’est un livre d’histoire, une source d’inspiration inépuisable.
C'est également un lieu qui a été meurtri. J'aime les sites qui ont vécu.
L'aspect architectural que nous connaissons aujourd'hui n'a pas toujours été ainsi. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Ces châteaux ont évolué au cours des siècles intégrant de nouveaux éléments architecturaux telles des couches sédimentaires. Mais le XIXe siècle a rompu avec le cour normal de la vie des monuments dans le cadre de restaurations d’envergure comme Carcassonne ou le château de Pierrefonds.
Les architectes ont fait disparaître les apports successifs au profit d’une période et d’un état supposé du site. Cela a certes contribué au renouveau du goût pour le Moyen-Âge et la Renaissance, mais ce siècle a quelque peu troublé la perception des monuments, en proposant des restitutions très homogènes.
Amboise lui, mêle au contraire plusieurs époques sans pour autant troubler l’harmonie général du monument. Il est intéressant d’expliquer aux visiteurs qu’un monument peut porter les stigmates de ses bouleversements, comme un être vivant. C’est à mes yeux ce qui lui donne sa valeur.
Amboise, a connu son premier âge d’or au XVIe siècle, notamment lors de la régence de Catherine de Médicis, dont le site a conservé près de 30% du bâti. Mais si l’on revient au monument sous le règne de son principal bâtisseur, le roi Charles VIII, il est surprenant d’apprendre que 75% du château de l’époque a tout de même subsisté.
L'HistoPad, qui existe depuis 2019, est-il une manière de concilier l'ancien avec les nouvelles technologies ? Est-ce une volonté de repenser la visite dite classique ?
Anciennes et nouvelles technologies ne sont certainement pas antagonistes. Les guides d'Amboise utilisent d’ailleurs l’HistoPad au cours de la visite guidée. Cette solution de visite digitale immersive reste un moyen au service d’un projet, ce n’est pas une finalité.
Amboise dont l’architecture a considérablement évolué dans le temps est particulièrement adapté à cette technologie qui permet la restitution des différentes phases de construction ou de restructuration du monument.
Le recours à cette technologie, si utile soit-elle, doit rester discrète pour ne pas rompre le charme d’un monument historique et de ses collections. Ceci nous a conduit à préférer les tablettes aux bornes interactives dans le parcours de visite.
L’outil numérique permet d’ajouter à la présentation actuelle des collections des reconstitutions de scènes de vie de manière peu intrusive. Il propose aux visiteurs des points d’intérêts qui apportent des compléments d'information aux plus curieux d’entre-eux. Toutes ces informations visuelles et textuelles embarquées sur les tablettes des visiteurs permettent de préserver l’esthétique du logis royal.
Il faut néanmoins rester mesuré dans l’utilisation des supports digitaux de visite et permettre ainsi à l'œil de comparer les reconstitutions à l’état actuel des collections. Les parents sont aussi là pour dire aux enfants d’observer ce qui les entoure. La tablette n’est donc pas la solution de visite, mais un bel auxiliaire, en particulier au service de nos visites guidées auxquelles je reste, tout comme les visiteurs, très attaché. Rien ne remplace la médiation humaine. Les gens aiment être portés par des passionnés, d'autant plus quand chaque visite est différente.
Outre l'attrait historique, le château se tourne-t-il vers la programmation culturelle ? Prévoyez-vous des expositions ou des évènements musicaux ?
Depuis 4 ans, le château royal d'Amboise connaît une intensification de la programmation culturelle, notamment musicale, avec une grande variété de mini-festivals.
La musique de tous les horizons s’invite au château. Nous organisons notamment des pique-niques panoramiques pour proposer aux visiteurs un voyage à travers la musique.
Dans ce domaine, l’éclectisme est de rigueur pour satisfaire le plus large public. Pour l’anecdote, François Ier écoutait de la musique moderne. Il n’y a donc pas rien d’incongru à accueillir des musiques de style différents, parfois même une soirée électro.
Un autre projet verra le jour en 2021. Il s'intitule Sur la route des princes voyageurs. Au-delà de cette exposition temporaire, l’année prochaine sera une invitation à « voyager comme des rois ». Cette invitation nous conduit tout d’abord dans les jardins du château avec un nouveau parcours consacré aux oiseaux et aux plantes voyageuses, l'occasion d’expliquer l’origine parfois lointaine de plantes qui nous sont pourtant familières. Au-delà de l’histoire des voyages, il est passionnant de voir comment le voyage est envisagé aujourd’hui. Plusieurs rendez-vous sont ainsi prévus à la rencontre de 3 aventuriers qui partageront leurs expériences hors du commun.
Le point d’orgue est proposé en décembre à l’approche des fêtes de Noël. Nous consacrons beaucoup d’énergie à l’enrichissement des décors et à la création de scènes féériques. Tout l’intérêt de cette démarche est de s’inscrire dans un réseau de monuments ligériens qui invitent les visiteurs à un « Noël au pays des châteaux ». Chaque site propose ainsi des thèmes et des décors différents de ses voisins… un vrai moment de magie à partager en famille !
Comment voyez-vous le château dans le futur ? Avez-vous des souhaits quant à son développement ?
Nous nous projetons toujours sur une décennie. Cela rejoint la notion de temps long dont je parlais tout à l’heure.
Nous travaillons essentiellement au développement de la recherche appliquée. Nous collaborons avec des chercheurs, des designers, des artistes dans toutes les disciplines.
À chaque décennie, nous devons associer notre savoir à des disciplines nouvelles. Cela renouvelle d'une part l’intérêt que nous portons à notre métier, tout en étant sûrs d'être en phase avec les nouvelles générations.
L’autre axe concerne la valorisation de pièces désaffectées du monument. Dans ce domaine des investissements conséquents ont permis de réhabiliter et de donner l’accès aux souterrains et aux anciennes écuries. Nous caressons l’espoir d’ouvrir à terme au public plusieurs salles du logis royal.
Plus largement, nous devrons constamment faire évoluer le contenu de notre médiation et de nos services en fonction des circonstances. La crise que nous traversons impose notamment des changements rapides. J’ai conscience que cette évolution ne peut se réaliser hors notre environnement. Amboise est au cœur de la cité qui accueille des milliers de visiteurs, ce qui en fait tout son charme. Notre offre doit s’inscrire en complémentarité avec les services qui peuvent être satisfaits dans le centre-ville.
Si cette question n’est pas réglée, il y a peu de chances que les visiteurs prennent le temps. Une visite est une parenthèse, surtout dans un château comme le nôtre, où le temps est comme suspendu avec son panorama exceptionnel sur la Loire. Ces moments de respiration sont possibles quand les aspects matériels du séjour s’effacent pour laisser place au plaisir, à la découverte et à l’inattendu.
